Tous ceux et celles, engagés, au niveau local, national ou global dans le secteur associatif, ont vu passer les nouvelles relatives à la diminution progressive des ressources allouées à l’aide publique au « développement ». Certains ont été affectés directement par les coupes budgétaires de ces dernières années, au niveau professionnel ou plus grave encore, pour subvenir à des besoins de première nécessité. Qu’on soit directement concerné ou pas, les enjeux et conséquences de cette crise mondiale permettent de rendre compte d’un monde en perte de repères.
Si j’ai utilisé plus haut, les guillemets pour le mot « développement », c’est pour adresser d’emblée les critiques qui voient dans cette aide un outil d’influence visant seulement à maintenir dans une position de dépendance les pays du Sud, moins développés économiquement, vis-à-vis de ceux du Nord, pourvoyeurs des fonds liés à cette aide. De mon point de vue, l’aide publique au développement représente surtout une opportunité permettant de réfléchir et d’agir pour la démocratie dans toute sa complexité. Il est d’ailleurs alarmant de lire que les fonds traditionnellement dévoués à cette aide, sont désormais réorientés vers les secteurs de la défense et de l’extractivisme.
Enjeux autour de l’aide publique au développement
Les coupes budgétaires à l’aide au développement ont commencé à inquiéter à partir de 2020 quand Boris Johnson, personnage haut en couleurs, et Premier ministre conservateur du Royaume-Uni jusqu’en 2022, a annoncé la fermeture du département pour le développement international et sa fusion avec le Ministère des Affaires étrangères. Pour justifier cette mesure, Boris Johsonn a évoqué un « monde de plus en plus compétitif », déplorant que l’aide à l’étranger ait été traitée pendant trop longtemps comme un « énorme distributeur de billets dans le ciel ». Résultats : le budget de l’aide au développement a depuis baissé d’environ 6 milliards de dollars, créant au passage un effet domino. Ainsi, en Suède, le budget de l’agence de coopération internationale au développement (SIDA) a été réduit de moitié en 2023. En France, l’aide au développement a vu son budget diminuer d’environ 40%, soit 2,6 milliards de dollars, alors que cette aide ne représente que 0,45% du revenu national brut du pays. Aux États-Unis, le Président Donald Trump a dès son arrivée au pouvoir, sonné le glas de l’Usaid, l’agence fédérale indépendante pour le développement international dont le budget annuel oscillait entre 40 et 60 millards de dollars. Quelques programmes sont passés sous la coupe du département d’État, avant que le Congrès n’acte par son vote du 17 juillet, la disparition officielle de l’Usaid. Cette décision de Trump lui a ainsi permis de passer un double message : en interne, montrer l’exemple et le sort réservé aux agences fédérales quand elles ne répondent pas aux attentes des chantres du mouvement MAGA, et à l’international, renforcer l’image d’un président transactionnel, dont les leviers d’action reposent principalement sur la force et la vindicte haineuse.
Autre enjeu majeur : la question du financement car l’économie du développement représente un écosystème de la finance internationale, à elle toute seule. On y développe des concepts tels que les « financements mixtes » public-privé combinant les ressources des gouvernements et des acteurs privés dans l’objectif de maximiser les investissements ou encore le « de-risking » pour atténuer les risques liées à l’incertitude qui entoure les investissements dans des pays à revenu faible ou intermédiaire. Ainsi, les fonds qui servent à financer l’aide au développement n’ont rien de dons altruistes et désintéressés à la base. C’est plutôt leur objet qui peut les rendre utiles quand ils sont bien distribués. L’aide au développement est également un moindre mal comparé à des politiques économiques beaucoup plus agressives, comme celles des ajustements structurels, qui imposent souvent des mesures drastiques et peuvent avoir des conséquences néfastes sur la stabilité sociale et économique des pays concernés.
Les conséquences d’une crise mondiale
La crise mondiale de l’aide au développement est le symptôme d’un monde qui privilégie de plus en plus, le langage de la force. Pour certains analystes, il revient de savoir si la Chine et son modèle de développement, beaucoup moins enclin à défendre le respect des droits fondamentaux, n’est pas en train de prendre la place des pays occidentaux. Plusieurs initiatives confirment cette orientation de la diplomatie chinoise, à travers la Belt and Road initiative, l’Initiative pour une Civilisation Globale (ICG), les Cinq Principes de la Coexistence Pacifique… etc.
Les coupes budgétaires dans le domaine de l’aide au développement représentent également une catastrophe humanitaire. L’ONU Sida a établi que 6,3 millions de personnes pourraient perdre la vie dans les quatre prochaines années, suite au démantèlement de l’Usaid. Amnesty International, qui a mené une étude sur les conséquences de l’arrêt de l’aide américaine dans douze pays, dont le Yémen, Le Sud Soudan et l’Afrique du Sud a constaté que les populations civiles, notamment celles qui sont marginalisées, déplacés ou victimes de violations graves des droits humains, se sont retrouvés brutalement privés d’accès à des soins de base. L’ONG a appelé à un rétablissement urgent de cette aide, tandis que des plaintes ont été déposées aux États-Unis et ailleurs pour protester contre la fin de contrats liés à des programmes établis en amont.
En outre, des centaines d’employés des agences d’aide ou des organisations qu’elles finançaient, se sont retrouvés au chômage. Des anciens salariés de l’Usaid à Washington ont rapporté avoir découvert leur licenciement, par email, avec effet immédiat. Ce choc a engendré des sentiments d’injustice, de culpabilité et une grande anxiété quant à l’avenir du monde, dans ce secteur où l’engagement humaniste est souvent de mise.
La crise de l’aide au développement met également en lumière l’érosion du modèle occidental de la démocratie libérale. Pour les citoyens de ces pays où l’espace public politique continue tant bien que mal à exister, le débat public est de plus en plus polarisé de manière assumée. L’idée au coeur de la démocratie représentative, à savoir la valorisation de l’existence de différents avis et courants idéologiques, au sein d’une société favorisant le dialogue, est en péril, menant certains penseurs de la démocratie à appeler à revoir les modes de scrutin, les formes de gouvernance et la nature même du contrat social.
Nous, anciens colonisés, habitués à penser la démocratie comme revendication de gouvernance idéale tout en se méfiant des visées impérialistes des grandes puissances, sommes pour notre part, atteints de vertiges quand informer de la montée de l’extrême droite, de la haine des migrants et des prises de décisions autoritaires et centralisées partout en Europe et en Amérique. Notre dissonance cognitive n’en est que renforcée, pendant que les dirigeants de nos pays se réjouissent de pouvoir continuer à profiter de leur modèle de démocratie-fiction.
Des solutions existent, mais qui pour les mettre en place ?
Pour palier à la crise de l’aide au développement, des propositions ont été formulées par les organisations de la société civile, notamment lors de la Quatrième Conférence internationale sur le financement du développement qui s’est tenue du 30 juin au 3 juillet 2025. Cette conférence des Nations Unies, dont les premières éditions se sont tenues en 2002, 2008 et 2013 a pour objectif de permettre la réalisation des dix-sept objectifs de développement durable (ODD), en réunissant dirigeants mondiaux, institutions internationales, entreprises et société civile. Lors de cet événement, les organisations de la société civile en ont profité pour avancer plusieurs propositions, parmi lesquelles une plus grande coopération démocratique au sein des Nations Unies, des mécanismes de règlement de la dette justes et transparents, une aide publique au développement qui renforce les services publics et les droits humains, et un environnement favorable à la société civile.
Au vu de la tournure que prennent les relations internationales notamment depuis la guerre en Ukraine et le génocide des Palestiniens à Gaza, rien n’est moins sûr que de voir l’appel pour remettre la solidarité internationale au coeur de l’aide au développement, être entendu. Cette situation est symptomatique d’une fascination croissante pour des rapports de force qui ne s’encombrent plus d’inclure une vision humaniste héritée de luttes passées contre toute forme de totalitarisme. Un peu partout donc, même dans les pays qui ont produit les plus grands penseurs de la démocratie de ces derniers siècles, le choix est fait par des dirigeants, ignorants, opportunistes et égocentriques, de détourner le regard, au grand dam de ceux et celles qui pensaient avoir trouvé une béquille solide pour continuer à penser et à défendre l’idéal démocratique et qui démunis, se retrouvent à devoir redéfinir leurs modes d’action, tant au niveau individuel que collectif.
