L’emprisonnement en Algérie puis la libération de Boualem Sansal le 12 novembre, ont suscité en France des réactions qu’il est impossible d’ignorer tant elles ont mobilisé des personnalités du milieu littéraire certes, mais surtout, politique, à l’extrême droite de l’échiquier français.
Avec l’affaire de Boualem Sansal, nous avons eu un exemple concret de la rétribution dont peut bénéficier un Algérien qui défend les idées de l’extrême droite française. Cette dernière s’est, en effet, attelée à sauver le « soldat Sansal », alors que la présence des Algériens en France est devenue un enjeu électoral, masquant le véritable enjeu mémoriel pour les nostalgiques de l’ « Algérie Française ».
Certains commentateurs, plutôt marqués à gauche, ont rappelé défendre la libération d’un écrivain, avant tout. Si ce propos est factuellement correct, ce n’est certainement pas le maniement très conventionnel de la langue française par Boualem Sansal qui a pu marqués ses lecteurs, mais plutôt sa capacité à construire un récit qui participe à la stratégie de prise de pouvoir de l’extrême droite en France. Prenons comme exemple son roman Le village de l’allemand publié en 2008, Sansal y décrit le « grand remplacement », théorisé deux ans plus tard par les penseurs de cette même extrême droite, pour qui l’utilisation de certains éléments de langage était devenue essentielle pour la conquête de l’espace médiatique. Aussi, dans son roman, Sansal absout la culpabilité des fascistes à l’égard des Juifs, en superposant les « islamistes » aux nazis, et l’imam à Hitler. Avec ce genre de raccourci, Sansal a participé avec d’autres, à permettre à un parti comme le Rassemblement national de faire de la lutte contre l’anti-sémitisme et de la défense d’Israël, une évidence rhétorique.
Ce mode opératoire n’est pas sans rappeler Kamel Daoud, autre écrivain algérien provocateur et sujet à de nombreuses polémiques pour ses chroniques publiées dans Le Point, ou ses romans notamment Houris, son dernier livre. Il est loin le temps où beaucoup voyait en Kamel Daoud un grand écrivain au vu des fulgurances littéraires qu’il a pu produire. « La religion pour moi est un transport collectif que je ne prends pas », « Écrire, c’est écouter un son, le préserver et tourner autour, sans cesse, pour tenter d’en rendre la mélodie, s’en approcher le plus possible pour le conduire de l’oreille à la bouche » ou encore « Je passe la moitié de ma journée à vouloir rester (en Algérie) et l’autre moitié à vouloir partir » (cette dernière citation est citée de mémoire) sont parmi celles qui m’ont le plus marquée. Au fur et à mesure du temps, Kamel Daoud est devenu la caricature de l’arabe à qui il voulait donner la liberté d’exister au-delà de la caricature qu’on s’en faisait ; « voleur » pour avoir puisé pour un de ses romans, dans l’histoire d’une femme algérienne victime des atrocités des années quatre-vingt-dix, sans son consentement, « menteur » quand il écrit des inepties sur des sujets comme la Palestine, et « fainéant » pour sa paresse intellectuelle incompréhensible jusque dans sa propre famille. D’une certaine façon, Kamel Daoud a tout d’un personnage romanesque peu affable, mais obsédé par l’écriture et (et c’est bien là le problème), le besoin de reconnaissance, peu importe le fond idéologique de ceux qui le « comprennent ».
Réunis et propulsés régulièrement dans l’espace médiatique français, Sansal et Daoud forment un duo perçus comme algériens avant tout. Leur nationalité d’origine est la preuve de l’existence d’une histoire qu’ils cherchent à remettre en question pour se rendre intéressants auprès de ceux qui pensent que l’indépendance de l’Algérie n’était pas la meilleure option. Ils sont dans leur ingratitude envers ce qui est la raison même de leur succès, à savoir leur algérianité, une blessure de plus dans les relations entre algériens et français.
Travaillant pour les intérêts d’une classe politique qui inscrit le « matraquage symbolique » dans un combat idéologique contre l’ « islamisme » et les musulmans, Sansal et Daoud feignent d’ignorer, publiquement du moins, les réelles motivations de l’obscur agenda de l’extrême droite, au nom de l’exercice de leur droit à la liberté d’expression. Certains militants peuvent alors être déboussolés par cette tactique de défense et avoir peur de se faire taxer de militants de circonstance, ou pire de chauvins/nationalistes/« onetwotristes ».
Dans ce contexte, il me semble essentiel de rappeler plusieurs choses. D’abord que les discours qui incitent à la haine, sont punies en droit, autant que la diffusion de fausses informations. Deuxièmement, si les militants des droits humains ont pour principe de défendre le droit à la liberté d’expression, la concentration des médias dans les mains de milliardaires de droite ou d’extrême droite orientant le débat public, doit être dénoncée. Enfin, il est permis de considérer que face à cette situation, le monde a besoin d’écrivains et d’intellectuels engagés, c’est-à-dire qui se donnent pour rôle, du fait de leur position sociale privilégiée, d’éclairer l’opinion publique sur les rapports de domination qu’ils sont capables d’articuler et surtout, de faire entendre.
Comme écrivait l’immense Jean-Paul Sartre dans La nausée : « Le droit n’est jamais que l’autre aspect d’un devoir ».
A minima, nous avons le droit d’exiger plus de pluralisme dans le débat public, pour que ceux qui ont appris à canaliser la colère du peuple, n’accaparent pas l’espace public avec la complicité d’hommes d’affaires riches plus que de raison. Car contrairement à ce qu’ils veulent faire croire, l’extrême droite ne s’est pas renouvelée fondamentalement et les promoteurs du « nous n’avons jamais essayé » semblent peu conscients de la gravité des conséquences d’une prise de pouvoir de l’extrême droite.
Enfin et il faut le dire, les prises de position ou de décision visant à restreindre les libertés fondamentales pour des motifs politiques cachés ou détournés, doivent également être rejetées. La mobilisation pour la libération des prisonniers politiques est une constante des défenseurs des droits humains.
Pour conclure, il sera peut-être possible de sortir de la politisation excessive qui entoure les deux écrivains algériens les plus médiatisés de France, en reconnaissant comme préambule aux discussions et actions les concernant, la double problématique du manque de pluralisme et d’éthique en France (comme en Algérie d’ailleurs), avec pour but de redonner leur place à deux opportunistes qui semblent vouloir faire réagir à tout prix.
