Au Maroc, il est urgent d’arrêter de foncer sur les manifestants pour maintenir l’ordre !

Ces dernières semaines, les manifestations de rue de la « GenZ 212 » au Maroc semblent s’être essoufflées, après avoir connu leur pic en octobre avec ces slogans récurrents : « Liberté, dignité, justice sociale », « On ne veut pas de la Coupe du monde, la santé, d’abord » ou encore « Le peuple veut la fin de la corruption ». Ces revendications ont fait suite à la mort soudaine de 8 femmes après leur accouchement par césarienne dans un CHU d’Agadir en août, soulignant les failles du système de santé. Les manifestants ont ainsi rappelé aux dirigeants la réalité douloureuse du présent, quand ces derniers font le choix d’investir des milliards de dollars en prévision de la Coupe du monde de football en 2030, co-organisé par le Maroc.

Porteuse d’espoir, cette mobilisation a permis de démontrer l’existence d’une conscience politique forte chez la jeunesse marocaine quant aux enjeux politiques nationaux, ainsi qu’une capacité à saisir la portée mobilisatrice d’un mouvement devenu transnational avec le déroulement concomitant de protestations similaires dans d’autres pays, comme le Népal et Madagascar. Cet acte de résistance est donc pour rassurer quant à la capacité de résilience de la jeunesse dans un monde qui nous donne parfois l’impression d’être devenu atone malgré la gravité des événements qui s’y déroulent au quotidien.  

En face, la réaction des autorités a été pour le moins violente. Au moins mille personnes ont été arrêtées, dont une trentaine poursuivies pour « participation à une manifestation non-autorisée », entre autres chefs d’inculpation. Et puis, il y eut cette scène, devenue virale une fois partagée sur les réseaux sociaux, dans laquelle on voit deux fourgons de police foncer sur la foule à Oujda, dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre, percutant au moins deux manifestants. Selon Human Rights Watch, Amine Boussada, l’une des deux victimes a perdu une jambe, d’après les déclarations de son père à l’organisation, alors que la deuxième Wassim El Taibi, âgé de 17 ans avait besoin d’une aide médicale urgente.  

Cette tactique de maintien de l’ordre n’est pas nouvelle. En 2019, c’est au territoire non-autonome du Sahara occidental que les autorités marocaines ont eu recours à cette méthode, lors de la célébration par les sahraouis de la victoire de la coupe d’Afrique par l’Algérie à la CAN-2019. La jeune Sabah Njourni, 24 ans, y a laissé la vie après avoir été écrasée par un fourgon de police. 

Avant cela, en 2018, à Jerada, ville au nord du pays où des protestations avaient éclaté suite à la mort de deux jeunes dans des mines de charbon, des fourgons de police ont également été filmés en train de foncer dans un terrain vague où se trouvaient des dizaines de manifestants, pendant que les autorités tiraient des gaz lacrymogènes. À l’époque, Amnesty International a rapporté qu’un enfant de 14 ans avait été percuté. 

Ce rappel historique démontre que ce qui est arrivé à Oujda ne relève pas de l’excès de zèle, mais bien d’une méthode institutionnalisée visant à terroriser les manifestants. La brutalité policière, quand elle s’assume ainsi, donne le sentiment d’un mépris total pour les peuples qui font exister la société, et au de-là pour la vie humaine. Comme-ci qu’occuper l’espace public pour contester pacifiquement n’était pas un droit. Cette violence aveugle et irrationnelle peut d’ailleurs évoquer d’autres images choquantes comme celle du bulldozer israélien qui a écrasé Rachel Corrie en 2003. 

Il est urgent que cette tactique de maintien de l’ordre cesse d’être utilisée, car en plus de renvoyer à un manque flagrant d’humanité, elle est contraire à la Constitution marocaine et au droit international des droits humains ! Elle représente également un usage de la force qui ne prend pas en compte les devoirs des autorités et notamment sa responsabilité à protéger les manifestants et les manifestations. Enfin, elle confirme cette parole d’une manifestante qui déclarait à l’animateur du podcast « Kalam » : « Chez nous, il y a le Maroc  et il y a « El Moughrib » », soulignant ainsi la déconnexion qui existe entre les centres de décisions qui promeuvent l’image d’un pays moderne et innovant, et la réalité vécue par des périphéries, en décalage, et confrontés à la répression, quand ils et elles osent protester.  

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