Plaidoyer contre la tenue de la prochaine élection présidentielle en Algérie

(Cette tribune a été publiée pour la première fois sur le site du Huffpost Algérie en novembre 2019)

Bientôt neuf mois depuis que le Hirak a commencé en Algérie, pays en situation révolutionnaire dont le peuple ne reconnaît plus la légitimité des institutions telles qu’elles existent. Neuf mois de gestation et jusqu’ici quelques acquis: Abdelaziz Bouteflika a démissionné. Ceux et celles sur qui reposait son système clientéliste, corrompu et sans vision, sont en prison sans qu’un processus de justice transitionnelle ne soit mis en place . 

Et puis, l’essentiel! Les citoyen.ne.s algérien.ne.s ont repris possession de la Rue en Algérie, à Bordj Bou Arreridj, Oran, Tamanrasset, Chlef, Alger et ailleurs. Pacifiquement. Nous, qui sommes percu.e.s et moqué.e.s beaucoup à l’extérieur pour notre “violence” fondamentale, parce que nous avons mené une lutte sans merci contre la colonisation, parce que nous l’avons gagnée, parce que nous payons encore le lourd tribu de cette violence subie puis utilisée contre nous-mêmes pendant la sale guerre; nous voilà donc exprimant notre refus de l’asservissement, de la mort cérébrale, pacifiquement. 

Le Hirak a donc produit les fruits qu’il pouvait. Entre temps, Ramzi Yettou est mort. A 23 ans, après avoir été tabassé par la police. Il y a aussi Mustapha Guenatri, Hassan Benkhedda  et Nabil Asfirane, décédés pendant les manifestations. Tous, des morts de trop. 

Et puis il y a les détenu.e.s d’opinion, plus d’une centaine, en prison pour port d’un emblème, d’une pancarte, pour des déclarations publiques. Des crimes imaginaires. Beaucoup ont déjà été condamné.e.s. Misère… Cette justice, dont on attend qu’elle annonce son refus de superviser l’élection, préfère condamner des innocents. L’ordre vient-il de quelque part ? Ou la servitude volontaire n’a-t-elle plus besoin d’instigateurs, seulement de victimes ? Non, les prisonnier.e.s ne sont pas des victimes. Ils et elles sont les héros et héroïnes, au contraire.   


Héros et héroïnes d’aujourd’hui et de demain. Ce demain qui nous inquiète tant. Parce qu’il risque d’être trop tard, si l’élection n’est pas annulée. Si l’autorité, dont on ne reconnait plus la légitimité, continue à nous abreuver de discours abrutissants et infantilisants parce que nous n’avons pas encore tué le Père. 

Avant qu’il ne soit trop tard donc, cette élection doit être annulée. Nous avons besoin d’une période de transition. Qu’une institution de transition soit mise en place. Une institution qui ne se compose pas de six personnes mais d’une centaine ou plus, comme en Tunisie, avec la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique. Une instance qui est passée de 71 membres à 120 puis à 155. 155 hommes et femmes issus de partis politiques, syndicats, associations de la société civile ou professionnelles et des personnalités. Et pourquoi pas de citoyen.e.s aussi, en majorité ? Pourquoi pas ? De femmes et d’hommes chargé.e.s de réécrire les textes fondateurs de la nouvelle République. 

L’armée dans les casernes et le Peuple dans la Rue jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée. Et la police ? Eh bien qu’elle s’occupe de gérer le bon déroulement des manifestations et qu’elle cesse de nous faire peur avec ces civils par centaines ou milliers au milieu des manifestant.e.s, terrorisant la foule, procédant à des arrestations arbitraires et donnant l’impression que c’est encore une affaire de « Nous contre Nous », quand on ne sait plus qui est qui. Que cela cesse. Que l’autorité publique se déclare ouvertement et que l’on arrête de nous faire croire qu’on ne mérite pas plus de transparence, plus de clarté, plus de lumière. 

Avant qu’il ne soit trop tard donc, parce que l’Algérie a assez souffert. L’armée doit choisir la neutralité, faire la place, avant que la Révolution des larmes et du sang ne vienne. Quand on aura faim et que les charognards qui attendent, se remettront à jouir de notre triste sort. 

Alors ? Alors, on écoute la Rue algérienne. Et la Rue dit : 

  • “Dawla madaniya, mechi 3asskariya” 
  • “El cha3b yourid el istiqlal” 

Et puis elle scande :

“Dégage Gaid Salah, had el 3am makach el vote”. 

Pas de vote cette année. Pas de vote le 12 décembre. Le message est on ne peut plus clair. La campagne électorale ? Une mascarade honteuse. Alors oui, certes, d’aucuns considèrent que le Hirak n’a pas su désigner ses représentant.e.s. Qu’il y a un manque de vitalité des intermédiaires, syndicats, politiques et associations. Que le Hirak n’est pas une Révolution. Qu’il y a manipulation, suspicion et en réalité, surtout, haine de soi. D’autres que le nombre des manifestant.e.s est en baisse et que beaucoup préféreraient aller vers des élections car ils et elles ne se sentent pas concerné.e.s par le Hirak. D’autres encore arguent du blocage du pays parce que rien n’avance plus, surtout au niveau économique. 

Peut-être. Mais. Peu importe les raisons objectives et subjectives, notre sentiment est que la prochaine élection ne devrait pas avoir lieu le 12 décembre. Répétons que l’armée devrait rester dans les casernes. Qu’il faut cesser la déstabilisation et la brutalisation. Encore de nos traumatismes, on se joue. On cherche le comment au lieu du pourquoi, comme l’a si bien dit Sid Ahmed Semiane dans son article sur Octobre 1988, 

Il faut arrêter de nous mettre en cage, au nom d’intérêts supérieurs invisibles. Avant qu’il ne soit trop tard.

Répétons donc pour ajouter notre voix à celles des autres, pour faire plus de bruit, avec des mots. Qu’on continue dans la rue avec des casseroles, des mahress, des slogans et des pancartes, pour se joindre à la célébration de notre liberté d’expression retrouvée et dire : pas d’élection cette année. Le Général Gaid Salah n’a pas à nous infantiliser. La police n’a pas à nous infantiliser. 

L’invisible n’existe pas. 

Restons debout et unis, calme et en paix. Et continuons à fonctionner à l’horizontal, pour ne pas prendre le risque de tomber à la renverse. 

Et qu’en urgence, les revendications des manifestant.e.s soient satisfaites; libération des détenu.e.s d’opinion et départ du gouvernement actuel, entre autres. 

Et ces questions lancinantes qui demeurent: 

  • Les candidats-lièvres du régime se retireront ils de cette élection présidentielle?  
  • Les magistrats refuseront ils de la superviser?  
  • Et les maires de l’encadrer? 

Espérons un triple oui. 

Et si personne ne veut plus croire en rien. Qu’il regarde les yeux rivés sur l’Afrique, vers sa gauche ; Il verra la Tunisie, le pays où a été élu au poste de Président la République, un citoyen ; Kais Saied. Il représente à lui tout seul le refus de renoncer. La poursuite de la quête de l’idéal. Une source d’inspiration pour la construction de notre socle commun. 

Et si personne ne croit en l’annulation de la prochaine élection, alors nous avons le devoir de désobéir civilement pour gagner du temps. Faire valoir l’objection de conscience et par la multitude, le groupe, imposer l’opinion contre l’élection du 12 décembre. Lever les derniers remparts de la peur, pacifiquement et se souvenir des mots d’Hannah Arendt qui rappelle dans son essai sur la désobéissance civile, ce qu’elle est: 

« Des actes de désobéissance civile interviennent lorsqu’un certain nombre de citoyens ont acquis la conviction que les mécanismes normaux de l’évolution ne fonctionnent plus ou que leurs réclamations ne seront pas entendus ou ne seront suivies d’aucun effet.»

Si l’on nous menace du code pénal et de son article sur l’incitation à l’attroupement non armé, que l’on remette en cause la légitimité des textes juridiques, en commençant par la Constitution, texte trop souvent piétiné par le précédent chef de l’État.  

Les actions de désobéissance civile ne doivent de toute façon pas être sanctionnées, tant qu’elles demeurent non-violentes. Pourquoi ? Parce que contester une élection, c’est contester la légitimité du système en place. C’est considérer qu’en l’état, on ne peut plus faire confiance à aucun pouvoir exécutif. C’est donc ne pas consentir au viol d’un contrat social dont on ne nous a jamais vraiment laissé déterminer les tenants et les aboutissants. 

Quels modes d’actions alors ? Ces dernières années, le boycott des élections par des actes de désobéissance civile s’est fait par des rassemblements, des grèves générales, des marches, des sit-in et par le blocage des routes, notamment.   

La désobéissance civile suppose d’exercer deux droits fondamentaux; le droit de désaccord et le droit d’association, en lambeaux dans notre pays. La désobéissance civile remet donc en question pacifiquement la légitimité des institutions sans isoler les individus puisque les actions sont collectives.

La désobéissance civile est la négociation du temps qu’il nous faut pour que se mette en place une transition. Elle est la voix du juste, si ceux qui nous gouvernement encore manquent de sagesse. 

Publié dans Tribunes | Marqué avec | Laisser un commentaire

L’Algérie en mouvement, récit d’un nouveau mois de manifestations

(Cet article a été publié pour la première fois sur le site de Nawaat.org en mai 2019)

Un certain vendredi 3 mai à Alger, la rue Didouche Mourad se remplit doucement. Il est environ 14h quand je retrouve un vieux copain dont j’étais sans nouvelles depuis cinq ans. C’est aussi ça un processus révolutionnaire : une possibilité offerte de réconciliation avec soi et les autres.

En Algérie, comme ailleurs, mai commence par la fête internationale du travail, un mercredi, journée de manifestations marquée par des violences policières contre les manifestants. Cette répression ne découragera toutefois pas les manifestants qui sortiront en masse les vendredis suivants dans une temporalité censée être plus lente du fait du Ramadan et de la chaleur. Alors que la fin du mois approche, le gouvernement par intérim, en place depuis la démission d’Abdelaziz Bouteflika, est dans l’impasse. Le 25 mai, seuls deux personnes, méconnues, ont déposé leurs dossiers de candidature à l’élection présidentielle prévue le 4 juillet.

Si officiellement, le Conseil constitutionnel a jusqu’au 4 juin pour statuer sur ces dossiers, il n’y aura à priori pas d’élection présidentielle. C’est ce que demande la rue algérienne depuis plusieurs semaines. Que va-t-il advenir alors des institutions du pays ? Difficile à dire puisqu’au niveau légal, la Constitution algérienne ne prévoit pas l’annulation de la présidentielle. A la lecture des analyses qui émergent par ci, par-là, je repense à ceux et celles qui en Tunisie, plus de 8 ans après la fin de la dictature, ne cessent de me répéter depuis le début du Hirak algérien que nous devrions nous méfier d’une quelconque technicisation du débat politique.

De toute façon, à ce stade, les algériens s’inquiètent surtout du rôle grandissant de l’armée et de son chef. Pour résister, ils et elles continuent depuis février d’affluer dans les rues pour protester pacifiquement. La mobilisation est partout ; à Oran, Tiaret, Sidi Bel Abes, Guelma, Chelef, Skikda, Batna, Bejaia, Sétif, Constantine, Djelfa, Tissemsilt, Khenchla, Ghelizane,  Tamanraset, Tougourt et…Bordj Bou Arreridj où jusqu’au 14ème vendredi de protestation, un impressionnant tifo était déroulé chaque semaine.

Crédit photo : Yasmine Kacha

“El Djazaïr: Djoumhouriya, mechi caserna !”

En cet 11ème vendredi (le 3 mai), à Alger, ce que réclament les manifestants, c’est avant tout le départ du général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée et de Said Bouteflika, frère et conseiller de l’ex-président. Ce dernier est arrêté le lendemain pour “atteinte à l’autorité de l’Armée” et “complot contre l’autorité de l’État”. Ainsi, Gaïd Salah qui a pourtant été nommé par Abdelaziz Bouteflika à la tête de l’armée en 2004 puis en 2013 vice-ministre de la défense nationale a lâché la famille de l’ex-président.

Quand il est arrêté, Saïd Bouteflika n’est pas seul. Il est accompagné de deux généraux et ex-directeurs des services de renseignements ; Mohamed Mediene, dit Toufik, forcé à la retraite en 2015 après avoir dirigé le département de Renseignement et de Sécurité (DRS) pendant plus de 20 ans et Ahmed Tartag qui l’a remplacé jusqu’à son arrestation. Tous les trois sont poursuivis sur la base des mêmes chefs d’accusation et transférés devant le tribunal militaire de Blida, où ils attendent leur procès.

Manifestation des étudiants – 26 février, Alger. Crédit photo : Huff Post Algérie

Le vendredi suivant, le 12ème donc, c’est encore le départ de Gaïd Salah qui est au cœur des revendications. Entre temps, Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs a été arrêtée le 9 mai, quelques jours seulement après avoir critiqué le chef d’état-major de l’armée. Transférée devant le tribunal militaire de Blida, elle aussi attend le début de son procès. Dans l’espace public reconquis par les citoyens, une pancarte rappelle que l’Algérie est inSISSIsable. Le chant « Sorry sorry, Gaïd Salah ! Ce peule n’est pas stupide ! Dégagez les tous » est entonné plusieurs fois. Un nouveau slogan fait son apparition : « Ce peuple ne veut pas d’un coup de théâtre à l’égyptienne ».

Les étudiants qui manifestent tous les mardis demandent également le départ de Gaïd Salah et la primauté du politique sur le militaire, en plus du droit d’exister par ce slogan marquant « faites place à l’étudiant. Ouvrez les portes ». Le mardi 7 mai, le dispositif policier mis en place entre la faculté centrale d’Alger et la Grande Poste est disproportionné par rapport au nombre de manifestants. La police a peur des étudiants et de toute corporation susceptible d’organiser le processus révolutionnaire en cours. Elle le fait savoir par sa forte présence qui ne peut qu’intimider les esprits. La circulation est très encadrée et les étudiants n’osent pas encore dépasser les barrières de « sécurité » et les interdictions d’accès à certains espaces. Ce sera chose faîte le 21 mai. Des étudiants seront arrêtés ce jour-là. Ce n’est pas la première fois. Les arrestations de manifestants pacifiques varient en nombre d’une semaine à l’autre. L’utilisation de la force (gaz lacrymogènes, canons à eau, coups de matraque…etc) également jusqu’à tuer le manifestant Ramzi Yettou, 22 ans, roué de coups de matraques lors de la manifestation du 12 avril. Il est décédé le 19.

 « Pas d’élections avec les gangs »

Ce que veulent les manifestants, c’est aussi l’annulation de l’élection présidentielle prévue le 4 juillet. Sur place, je demande à une manifestante si elle compte voter. Elle me dit que non parce qu’elle sait d’avance que l’élection sera truquée. Cette inquiétude, beaucoup d’algérien.nes la partage. Comment organiser un scrutin transparent en si peu de temps ? Comment s’assurer que l’instance chargée de l’organiser soit réellement indépendante et ne subisse aucune pression ? L’Algérie est un territoire de 2 millions de km2, immense, le plus grand pays d’Afrique. Comment alors ne pas s’inquiéter des garanties de transparence du scrutin ? Un avocat militant des droits humains me fait part avec insistance de ses inquiétudes par rapport à cette question, à laquelle vient s’ajouter dans le cas où elle serait réglée, la peur de voir les islamistes rafler la mise. Un autre manifestant me dit que le pays n’a pas besoin d’élections mais d’« hommes propres ». Il me lance quelques noms d’hommes politiques et militants des droits humains, déjà entendu ailleurs.

A ce moment-là, je me demande à quoi rêvent les manifestants dans le reste du pays, majoritaires ? Ce qui est sûr, c’est que le slogan on ne peut plus clair « pas d’élections avec les gangs » est répété partout. Il y a quelques semaines, une quarantaine de maires et des magistrats se sont ralliés à cet appel en annonçant leur refus de superviser les élections. La classe politique suit. La société civile, ONGs et syndicats compris, également. Le 27 avril, ceux-ci annonçaient l’organisation d’une conférence nationale de la société civile algérienne ouverte, dont les contours restent à définir.

Lundi 20 mai, Gaïd Salah prononce un discours ambigu. Il rappelle l’urgence de mettre en place l’instance indépendante pour l’organisation et la supervision des élections, tout en commandant aux marcheurs de faire émerger de vrais représentants se distinguant par leur sincérité et intégrité. Le 28 mai, du fait de l’absence de candidatures sérieuses, Gaïd Salah change de discours et ne parle plus que de dialogue et de concessions mutuelles.

24 février, Alger. Crédit photo : Huff Post Algérie

Envisager l’après « Dégagez les tous »?

Dans ce contexte complexe, la justice a pris le parti durant cette période d’intérim de lutter contre la corruption, ou plutôt de poursuivre tous ceux en lien avec le clan de l’ancien président A. Bouteflika, éveillant les craintes de manipulations d’une justice qui serait toujours asservie. En avril, les hommes d’affaires Ali Haddad et les frères Kouninef au cœur du système clientéliste mis en place pendant la présidence d’A.Bouteflika, ont été arrêtés. Issad Rebrab, richissime homme d’affaires, 6ème fortune africaine selon le classement Forbes aussi.

Le 26 mai, le nouveau procureur de la Cour d’Alger a annoncé avoir transmis à la Cour suprême les dossiers de 12 anciens hauts responsables, parmi lesquels les ex-Premiers ministres Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia. C’est la première fois que d’anciens responsables sont poursuivis dans le cadre d’affaires de corruption. S’il est impossible de connaître l’impact futur de ces bouleversements, beaucoup d’algériens appellent de leurs vœux la constitution d’une instance de transition avec des personnalités reconnues pour leur probité. D’autres considèrent qu’il est urgent de s’acheminer vers une assemblée constituante. La possible dégradation de la situation économique inquiète, le vide constitutionnel dans le cas où l’élection présidentielle ne serait pas tenue, aussi.

Dans ce tumulte d’angoisses et en cette veille du 15ème vendredi de manifestations, il est essentiel d’avoir l’optimisme de la volonté et de garder espoir dans la dynamique populaire que rien ne semble essouffler.

Publié dans Tribunes | Marqué avec | Laisser un commentaire

«L’Etat algérien doit lever toutes les restrictions sur le droit à la liberté d’expression »

(Cet article a été publié pour la première fois en ligne sur LeMonde Afrique en avril 2019)

Depuis le 22 février, des millions d’Algériens descendent dans la rue à travers tout le pays, pour la plupart sans violence, afin de manifester contre la tentative du président Abdelaziz Bouteflika de rester au pouvoir, un mouvement qui aurait été inimaginable il y a seulement quelques mois. Face aux pressions, l’homme de 82 ans – au pouvoir depuis 20 ans – a annoncé lundi 1er avril qu’il démissionnera avant la fin de son mandat, le 28 avril.

En attendant, les manifestations se poursuivent. Jamais depuis des décennies les Algériens ne s’étaient saisis avec une telle ferveur de la liberté d’expression et de réunion. Durant les deux semaines que j’ai récemment passées en mission à Alger, il était formidable de sentir le vent d’optimisme qui balayait le pays, ainsi que la conviction que le changement était inévitable.

Les Algériens sont convaincus que rien ne pourra plus les empêcher d’exprimer leur opposition à ce qu’ils appellent une « bande de voleurs ». Même les autorités semblent faire preuve d’une plus grande indulgence face à la dissidence, autorisant la tenue de manifestations à Alger et ailleurs dans le pays, malgré l’interdiction de fait de manifester qui est en vigueur dans la capitale depuis 2001 et l’interdiction pénale de toutes les manifestations non autorisées. La situation évolue dans le bon sens, mais il reste encore beaucoup à faire pour parvenir à des changements positifs en matière de droits humains en Algérie.

Recours excessif à la force

L’Etat algérien doit notamment lever toutes les restrictions sur le droit à la liberté d’expression et de réunion pacifiques et mettre fin à la pratique des arrestations arbitraires de personnes qui réclament le changement. Il doit également abandonner les poursuites judiciaires pour des considérations politiques, dont celles contre le militant emprisonné Hadj Gharmoul qu’Amnesty International appelle à libérer. L’Algérie doit aussi s’attaquer aux injustices liées au système de la hogra, un mot algérien couramment utilisé pour désigner les dérives et l’oppression de l’Etat, ainsi que l’impunité qui les accompagne.

Même si les manifestations se sont très largement déroulées dans un climat positif, des informations profondément inquiétantes ont fait état de recours abusif ou excessif à la force par la police, qui a utilisé des gaz lacrymogènes et des lanceurs de balles en caoutchouc contre des manifestants non violents et a eu recours à des canons à eau et à des armes à impulsions électriques pour contrôler la foule. Les manifestants étaient dans leur grande majorité pacifiques, mais quelques-uns ont jeté des pierres sur les forces de l’ordre quand elles ont commencé à tirer des gaz lacrymogènes.

Pendant mon séjour en Algérie, j’ai rencontré un garçon de 14 ans qui avait été blessé le 22 mars par une balle en caoutchouc tirée par un policier. Je l’ai trouvé en train de soigner sa blessure dans la cage d’escalier d’un immeuble d’Alger. Il m’a dit qu’il venait du quartier de Bab El Oued et qu’il manifestait pacifiquement chaque vendredi. Ce courageux garçon a déclaré que sa blessure ne l’empêcherait pas de revenir manifester pour que le système change.

Des dizaines d’arrestations

Amnesty International s’inquiète également du nombre d’arrestations qui ont eu lieu depuis le début des manifestations. Certaines des personnes arrêtées ont été libérées quelques heures plus tard. C’est le cas notamment de dix journalistes interpellés le 28 février, lors d’une manifestation en faveur de la liberté de la presse à laquelle ils participaient ou dont ils effectuaient la couverture médiatique. Au moins vingt personnes ayant pris part aux manifestations sont actuellement en cours de jugement pour participation à des « rassemblements non armés », un chef d’accusation utilisé pour incriminer les manifestations pacifiques. D’autres sont poursuivies pour actes de violence et pour vol.

Je me suis entretenue avec un proche d’une des personnes faisant l’objet de poursuites à la suite des manifestations du 15 mars. Il m’a raconté que son frère avait été arrêté et présenté à un juge le 17 mars, et qu’il était accusé de participation à un « rassemblement non armé » en vertu de l’article 97 du code pénal algérien. Cet homme a ensuite été libéré, mais il est cité à comparaître de nouveau devant le juge le 23 mai. Dix-neuf autres personnes au moins se trouvent dans la même situation que lui.

Presque chaque semaine, la police annonce des dizaines d’arrestations, dont certaines pour participation à un « rassemblement non armé ». Un avocat, Abdelghani Badi, m’a affirmé qu’il était temps que les autorités algériennes cessent de « reprendre d’une main ce qu’elles donnent de l’autre », allusion au fait que des personnes sont poursuivies pour « rassemblements non armés », alors que la Constitution garantit le droit à la liberté de réunion.

Dans certains cas, des manifestants ont été détenus arbitrairement quelques heures avant d’être relâchés, parfois en pleine nuit, à plusieurs kilomètres d’Alger. Il se dit que ces manœuvres ont pour but d’envoyer un avertissement aux personnes qui manifestent, afin qu’elles réfléchissent aux « conséquences de leurs actes ».

Craintes de futures représailles

Le 24 février, Fares Bedhouche a été arrêté près de la place Audin, à Alger, et maintenu en détention pendant plus de 12 heures. Il pense avoir été pris pour cible en sa qualité de militant de Jil Jadid (Nouvelle Génération), un parti politique membre du collectif Mouwatana (Citoyenneté), qui avait lancé l’appel à manifester ce jour-là.

« Cette arrestation est injustifiable et porte atteinte à mes droits fondamentaux. Même les policiers n’étaient pas en mesure de me dire pourquoi j’étais détenu, m’a déclaré Fares. Ils attendaient juste un coup de fil pour me libérer du poste de police de Tessala El Merdja [une commune de la wilaya d’Alger], à plus de 25 kilomètres du lieu de mon arrestation, à 23 h 20. »

Beaucoup des personnes avec qui je me suis entretenue m’ont dit craindre de futures représailles, en particulier contre les journalistes, les juges et les avocats qui ont exprimé leur soutien aux manifestations ou réclamé la liberté de la presse et l’indépendance de la justice. Pendant mon séjour dans le pays, j’ai recueilli des informations sur les cas de quatre personnes – un journaliste, deux juges et un avocat – confrontées à des menaces ou à des mesures disciplinaires pour avoir affirmé leur soutien aux manifestations ou refusé de condamner des manifestants sans preuves suffisantes.

Les journalistes étrangers se voient également restreints dans leurs activités. Le 31 mars, le journaliste de Reuters Tarek Amara a été expulsé après avoir été arrêté pendant qu’il couvrait une manifestation contre le président Bouteflika.

« L’Algérie se trouve face à une occasion unique d’inaugurer une nouvelle ère pour les droits humains, m’a déclaré Hassina Oussedik, directrice d’Amnesty International Algérie. L’Etat doit veiller à ce que les libertés fondamentales soient protégées et à ce que tous les Algériens aient accès à la justice. Ce sont là des priorités. »

Espérons que l’Etat algérien saura montrer qu’il a entendu les millions de voix d’Algériens et d’Algériennes qui réclament le changement à cor et à cri.

Publié dans Tribunes | Marqué avec | Laisser un commentaire

De quoi la situation des droits humains est-elle le nom en Algérie ?

(Cette tribune a été publiée pour la première fois sur le site du Huffpost Algérie, en juillet 2018)

A Genève, la revue de l’Algérie par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies commencera demain à la veille de la fête de l’indépendance du pays, dans le but d’évaluer la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ratifié par le pays en 1989, bien après la Tunisie (1969), le Maroc (1979) et l’Egypte (1982). Ce traité international censé être supérieur à la loi (article 150 de la Constitution algérienne), reprend en plus des droits civils et politiques classiques, un droit général à l’égalité, le droit des peuples à l’auto-détermination et une provision de protection des minorités.

Pour faire cette revue, les 18 experts que compte le comité des droits de l’homme devront examiner le rapport de l’Etat-partie détaillant les mesures prises afin de mettre en œuvre le traité dans la législation algérienne. Ils pourront ensuite comparer ces informations avec celles soumises par des organisations nationales et internationales de la société civile. La lecture de ce document, autant que cette réponse de l’Algérie à une liste de thèmes, sont des prérequis si l’on veut comprendre la perception du traité côté algérien. Fin juillet, ce même comité présentera ses observations finales. 

L’occasion nous est donnée de dresser un état des lieux des engagements internationaux de l’Algérie et d’ainsi demander de quoi la situation des droits humains est-elle le nom aujourd’hui ? 

Une réponse nous vient tout de suite à l’esprit ; de la nécessité de s’indigner, fil conducteur de cette tribune. 

S’indigner donc contre l’arbitraire d’un système judiciaire inéquitable parce que soumis au pouvoir exécutif, qui condamne injustement le droit de s’exprimer, quand il prononce une sentence inique de sept ans de prison contre un jeune chômeur de 30 ans. 

Le détenu s’appelle Merzoug Touati. Il rêvait d’être journaliste. C’est via son blog alhgora.com, depuis censuré, sa page facebook et youtube qu’il pensait pouvoir publier le résultat de ses « enquêtes », sans être inquiété, même si celles-ci touchaient à des sujets difficiles, rarement abordés par la presse algérienne. Accusé d’intelligence avec une puissance étrangère suite à la diffusion sur internet de son entretien avec un diplomate israélien, il est condamné, fin juin en appel, à sept longues années d’emprisonnement. Touati est prisonnier d’opinion, ni le premier, certainement pas le dernier. Sa libération ? une urgence, au nom de la liberté d’expression et d’information garantie par l’article 19 du pacte.

S’indigner encore contre les entraves au droit de manifester pacifiquement (article 21) et contre la répression des manifestations, notamment à Alger. Les médecins-résidents grévistes en savent quelque chose. Depuis le 3 janvier, chaque fois qu’ils ont tenté de faire entendre pacifiquement leurs revendications dans les rues d’Alger, la police les a brutalisés, en blessant et en interpellant plusieurs d’entre eux.    

Les autorités justifient ces violences par la nécessite de maintien de l’ordre du fait de l’absence d’une autorisation de manifester, feignant ainsi d’ignorer le désordre causé par l’interdiction de rassemblement à Alger prise par le Conseil du gouvernement le 18 juin 2001 et dont le texte demeure introuvable. Annoncé, l’avant-projet de loi relatif aux libertés de réunion et de manifestation pacifique est lui aussi inaccessible.

L’autre face de la liberté de rassemblement, c’est-à-dire celle d’association (article 22) est aussi raison d’indignation en dépit de l’adoption de la loi n°12 06 en 2012. Durant les deux années qui ont suivi, toutes les associations ont dû compléter les formalités d’enregistrement nécessaires. Si le texte de loi prévoit que le silence de l’administration vaut agrément et que dans ce cas, l’administration est tenue de délivrer le récépissé d’enregistrement, la réalité est tout autre. 

La majorité des associations algériennes vivent aujourd’hui dans une grande précarité juridique, à l’image de l’association FARD (Femmes Algériennes Revendiquant leurs Droits) et de l’AFEPEC (Association féministe pour l’épanouissement de la personne et l’exercice de la citoyenneté) dont les locaux ont été mis sous scellés fin février, pour cause de non-conformité avec les textes en vigueur.  Fin mai, l’association FARD a obtenu gain de cause après avoir déposé plainte auprès du tribunal administratif d’Oran. Ce dernier a en effet confirmé que le défaut d’octroi d’agrément incombe à l’administration et a rétablit l’association, aussi bien dans son statut, que dans ses droits. Un recours auquel devrait faire appel plus d’associations pour dépasser le blocage actuel compliquant les démarches les plus simples, comme l’ouverture d’un compte bancaire ou la tenue effective d’une assemblée générale.

S’indigner toujours contre la violation quotidienne du droit de circulation des personnes (articles 12 et 13). Des milliers de migrants subsahariens se cachent aujourd’hui en Algérie pour travailler, pour marcher dans les rues, pour survivre par peur du racisme antinoir et de l’expulsion toujours imminente et arbitraire vers un désert bientôt-tombeau, comme cette méditerranée où meurt tant de harragas algériens, pour avoir rêvé d’une vie meilleure contre l’étouffement politique ou économique dans leur pays, comme ces migrants.

Dans ce contexte, le discours sécuritaro-wantoutriste des responsables politiques cachant une grande incompétence, est infamant. L’Etat algérien s’il a raison de ne pas vouloir jouer le jeu hypocrite et tendancieux des états de l’Union européenne en ouvrant des centres de détention ou de rétention, se justifie en expliquant qu’il ne compte pas faire comme ses voisins, libyens notamment, mais ne propose rien pour faire autrement, pas même une loi qui permettrait d’accorder le droit d’asile et de clarifier le statut des réfugiés. 

S’indigner aussi contre les restrictions de la liberté de conscience quand on voit le traitement réservé aux minorités religieuses. L’intolérance institutionnalisée par des peines d’emprisonnement et de lourdes amendes prononcées contre ceux et celles qui ne suivent pas le rite sunnite malikite est en contradiction avec les engagements internationaux du pays. L’article 18 du pacte prévoit en effet dans son premier paragraphe que « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement. »

Et dans la même veine et suivant les articles 2 et 3 du pacte, s’indigner contre ce code de la famille, qui sous couvert d’organisation des liens familiaux maintient l’idéologie patriarcale bien en place. Le droit à l’égalité entre homme et femme a également encore un long chemin à parcourir, alors qu’en Tunisie bientôt, l’égalité dans l’héritage devrait être adoptée. 

S’indigner aussi parce que la femme algérienne n’a pas encore le droit de disposer librement de son corps, en avortant par exemple. L’article 6 du pacte garantit pourtant le droit à la vie et encourage ainsi à abolir les lois restrictives à l’avortement car ces dernières risquent d’inciter les femmes à recourir à des avortements peu sûrs, illégaux, avec les risques qui en découlent pour leur vie et leur santé. 

S’indigner enfin contre l’amnésie imposée depuis tant d’années par les lois d’amnistie qui se succèdent depuis les années 1990 sans définir les responsabilités des perpétrateurs d’exactions et sans répondre ni aux allégations de torture, ni aux disparitions forcées, ni aux exécutions extrajudiciaires. Et la justice transitionnelle qui attend en attendant la transition. 

S’indigner pour élever notre conscience, garder espoir en notre humanité et se souvenir qu’autrefois, l’Algérie poursuivait un idéal internationaliste et ainsi, prenait part à la transformation du monde.  

Si ce temps est clairement révolu, la revue de l’Algérie par le comité onusien est un des évènements qui permet de réfléchir à « notre » rapport au « tout-monde » dans sa diversité, son altérité et sa pluralité, à partir d’un prisme qui tente de dépasser le droits-de-l’hommisme pour s’inscrire dans une approche prônant la nécessité d’une éthique de l’émancipation. 

Et dans cette démarche, mesurer le respect des droits civils et politiques vis-à-vis du PIDCP par l’Etat algérien permet de démontrer les manquements accumulés et participe à l’appel au changement, à quelques mois des prochaines élections présidentielles. 

Publié dans Analyses | Marqué avec | Laisser un commentaire

Vœux pour une presse tunisienne libre, indépendante et plurielle

(Article publié pour la première fois sur le site Nawaat.org en janvier 2018)

Sept ans après la Révolution, le champ médiatique tunisien poursuit sa mue, difficilement. Les professionnels du secteur vivent comme beaucoup de Tunisiens et Tunisiennes une période difficile, transitoire, teintée d’opti-pessimisme. Après l’euphorie révolutionnaire, celle de la Constitution et des réformes institutionnelles et législatives historiques pour la garantie et la protection de la liberté d’informer ; le secteur des médias traverse un passage à vide, une période de stagnation, voire de régression. Celle-ci n’est profitable qu’à ceux qui au sommet de l’Etat, considèrent que la « désétatisation » de l’information, au sens où l’entend l’universitaire Larbi Chouikha, n’est absolument pas une priorité. Face aux nombreux défis que vit le secteur, il est urgent pour les défenseurs de la liberté de la presse de renforcer leur mobilisation pour que fleurisse une information plurielle, de qualité, produite de manière indépendante.

Unir nos forces !

Nombreux sont les dossiers en suspens qui promettent d’être déterminants pour l’avenir des médias tunisiens : nouvelle loi inquiétante pour la réforme du secteur de l’audiovisuel, avenir incertain de la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA), mise en œuvre difficile du Conseil de la presse et de la loi sur l’accès à l’information…

Les inquiétudes liées à la fragilisation des acquis pour la liberté de la presse obtenus essentiellement entre 2011 et 2014, sont donc bien réelles. Elles sont dues en grande partie au manque de volonté politique pour une réforme progressiste du secteur des médias. En effet, à observer le processus peu transparent et peu participatif dans l’élaboration des lois, le manque de soutien dont a souffert la HAICA, le retour de la culture du « coup de téléphone », cette pratique qui vise à dicter des ordres sans laisser de traces…. il est à craindre que le pouvoir exécutif actuel ait déjà enclenché la « marche-arrière », signalant un retour à des pratiques dignes des heures sombres de la dictature. À cette crainte vient se greffer celle, plus angoissante encore, de voir les défenseurs de la liberté de la presse ne pas réagir de façon forte et unie.

Pour renouveler le rapport de force avec les autorités actuelles, une confiance renouvelée entre les acteurs du secteur, une plus grande transparence dans l’échange et le partage des informations et la libération des énergies de tous devraient être une priorité. En ce sens, il est urgent de ressusciter la Coalition civile pour la défense de la liberté d’expression avec les organisations nationales concernées, en laissant la porte ouverte aux organisations internationales qui pourraient se joindre à certaines actions, de manière ponctuelle. Le sentiment d’exclusion ou de concurrence au sein même de la société civile médiatique est préjudiciable à la cause. Ce n’est donc que par l’union de ses acteurs qu’il sera possible de rester debout ensemble face aux enjeux à venir.

Réinventer le journalisme

Il faut se le répéter : après avoir été étouffé, manipulé et déstructuré pendant plusieurs décennies, on ne peut attendre du journalisme tunisien qu’il se réinvente en si peu de temps. Car sept années, ce n’est rien ou pas grand chose après des décennies de répression et de censure du champ médiatique.

Rappelons aussi que, bien qu’il soit vrai que les racines ne se mangent pas, il est néanmoins essentiel d’en comprendre les ramifications pour un développement sain. Un travail approfondi de mémoire sur l’histoire des médias en Tunisie en dehors du seul cercle académique, est nécessaire. Depuis 2011, le débat autour de cette question a été boycotté de mille façons. Sept ans après le départ de Ben Ali, l’amnésie règne en maître sur le secteur médiatique, qu’il s’agisse des exactions commises contre la liberté d’expression depuis l’indépendance du pays, du rôle répressif d’officines comme l’Agence tunisienne de communication extérieure (ATCE) ou l’Agence tunisienne d’Internet (ATI), ou plus largement du fonctionnement de l’appareil de propagande. Et pour cause ! Nombreux sont ceux, au pouvoir ou dans certains lobbys médiatiques à craindre que l’on désigne et poursuive les responsables de ces trop nombreuses contraventions aux libertés fondamentales des médias, ou que l’on dédommage les victimes et prenne des mesures pour éviter que cela ne se reproduise.  En un mot, que l’on fasse courageusement face à certaines réalités dérangeantes et que l’on mette sur pied une véritable justice transitionnelle pour les médias.

Lier ce travail de mémoire à la question épineuse de la transparence sur la propriété des médias est également souhaitable. En 2016, une enquête menée par RSF et l’association tunisienne Al Khatt révélait que le risque de contrôle du politique sur les médias et leur financement était moyen. Néanmoins, il était alors difficile d’obtenir des informations précises et actualisées sur la composition des structures médiatiques. Cette recherche en lien avec le travail de mémoire mériterait d’être approfondie si l’on accepte enfin que l’avenir est un présent que nous fait le passé.

Dans l’étude précitée, la télévision reste le média le plus consommé en Tunisie. À cet égard, il apparaît clairement que la pratique journalistique souffre du nivellement par le bas des programmes télévisés. Motivées par une logique commerciale, les chaînes de télévision privée n’hésitent pas à mettre en avant des émissions qui font du voyeurisme, du buzz et des clashs un véritable fonds de commerce, dangereux pour le droit d’informer et l’évolution du journalisme.

Élever la condition du journaliste

Produire une information de qualité soustraite à la loi du marché comme aux pressions du pouvoir passe obligatoirement par l’amélioration des conditions socioéconomiques des journalistes tunisiens. Tant que ces derniers seront mal payés, tant que n’aboutit pas la révision des conventions sectorielles, l’indépendance du professionnel de l’information ne sera pas assurée.

Actuellement, le salaire moyen d’un journaliste en Tunisie est de 600 dinars bruts/mensuel. À titre de comparaison, il est d’environ 12 000 dirhams brut/mensuel au Maroc, correspondant à 3500 dinars tunisiens bruts/mensuel. Selon une étude récente, 50% des journalistes tunisiens perçoivent un salaire de moins de 400 dinars par mois. Quelques 63% de ces mêmes journalistes affirment que leur situation matérielle a un impact sur la liberté de la presse.

Comment envisager alors un journalisme qui ne soit pas un outil utilisé au service du maintien de l’ordre ? Comment atteindre l’idéal journalistique, celui qui brille par le reportage et l’investigation, si le journaliste au lieu de se consacrer à la recherche, à la vérification et au recoupement de l’information passe son temps à se demander si son salaire sera bien payé à la fin du mois, si son contrat est en règle, si les cotisations sociales qui lui sont dues sont réglées ?   Cette situation est intenable.

Des négociations sont actuellement en cours entre les responsables de l’État tunisien et le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT). Il est plus que souhaitable qu’en 2018, celles-ci puissent enfin aboutir. Quand on sait que le syndicat a mis ses propositions sur la table il y a de cela plusieurs mois, que le chef du gouvernement actuel a promis le 14 janvier 2017 des mesures concrètes en faveur de l’amélioration de la condition socio-économique des journalistes, on est en droit de rêver à un dénouement rapide… ou à défaut, à une revendication plus poussée dans le cadre des droits prévus par la Constitution de janvier 2014.

Unir les forces de la société civile tunisienne, engager un véritable travail de mémoire, améliorer la condition des journalistes sont autant de défis et de conditions prioritaires pour le secteur. Ce ne sont pas les seuls et il en reste – bien évidemment – de nombreux autres comme la réforme des médias publics et l’élucidation des circonstances de la disparition de Sofiane Chourabi et Nadhir Guetari…etc.

A l’ère des fakenews, de la propagande et de la désinformation, grandes sont les attentes des défenseurs du droit d’informer et d’être informé qui croient au modèle tunisien, véritable phare d’espoir dans la région. Elles sont à mon sens, loin d’être impossibles à combler.

 

Publié dans Tribunes | Marqué avec | Laisser un commentaire

Rubato autour du mouvement d’attraction au langage

(Article publié pour la première fois sur le site du Huffpost Algérie en 2016) 

Comment définir notre rapport à la langue et au langage? Les réflexions autour de cette question appellent généralement à la concrétisation des revendications linguistiques, berbérophone notamment. L’officialisation sous-réserve du tamazight dans les amendements constitutionnels de février 2016 est d’ailleurs un aboutissement partiel de cette requête.

L’approche adoptée ici et qui trouve son essence dans un vécu personnel cherchera à aborder cette problématique selon un angle qui met la lumière non pas sur l’aspect formel du choix linguistique, déjà commenté par de nombreux spécialistes, mais plutôt sur la nécessité de faire du langage une passerelle vers la libération de la parole et le rehaussement de l’estime de soi.

En Algérie, la politique linguistique adoptée par les pouvoirs publics a longtemps été utilisée comme un instrument servant à manipuler et à fixer les vertiges d’une identité brisée. L’imposition de l’arabe classique en tant que langue officielle d’enseignement, vecteur d’affirmation d’une identité nationale non-aliénée et libérée de l’ex-colonisateur, a surtout été vécue comme génitrice du complexe développé vis à vis du langage, au vu du décalage existant avec les langues maternelles. Ce détachement linguistique est allé de paire avec une renonciation graduelle à la recherche dans la religion musulmane et donc dans la langue du Coran d’une élévation spirituelle permettant à chacun de se donner si il souhaite, la possibilité de s’engager dans un processus de vérité. Ainsi et à l’ère des littéralistes, la langue arabe classique a opéré un glissement dans notre imaginaire pour devenir peu à peu un lieu où seule la dualité halal/hram trouve une place. Une langue qu’on a voulu compresser bien que sur le terrain du réel, le langage lui, continue à respirer et à transposer les racines de notre socle commun. D’ailleurs, cet agent de transmission ne prend pas forme en derja uniquement mais également en berbère et en français. Qu’il est triste donc de voir que le développement de cette richesse a été hypocritement mis à l’écart par les gouvernements successifs. Hypocritement car comme l’a joliment souligné Lyes Salem dans son dernier long métrage L’Oranais, nommer les choses en arabe ou en français (en l’occurrence une scie métallique) n’allait pas suffire à les faire fonctionner.

Yassine Temlali dans son entretien avec Libre Algérie en mai dernier l’a clairement démontré ; il est urgent de sortir de l’idéologisation de la langue pour proposer une véritable politique langagière. C’est à matérialiser cette volonté que Nouria Benghebrit, actuelle Ministre de l’éducation semble s’atteler. Sa première réforme en ce sens a cherché à consacrer une pratique depuis longtemps instituée; celle de l’utilisation de la darja dans le préscolaire et les deux premières années du primaire pour aider à l’apprentissage de la langue arabe. Interpellée violemment et peu soutenue par la classe politique algérienne, les réactions épidermiques à la réforme de la Ministre en plus de leur aspect fortement misogyne, révèlent les difficultés que nous avons à nous situer face au langage, et au delà à trouver la voie qui nous amènera vers la libération de notre propre expression.

A un niveau plus personnel, lorsque confrontée à l’exercice médiatique ou comme ici, quand je souhaite exprimer une idée, le choix de la langue se pose immédiatement. La réponse que j’y ai apportée dans un premier temps s’orientait systématiquement vers la langue la moins angoissante, en l’occurrence le français. Si l’interview ou l’intervention devait absolument se dérouler en arabe, je proposais jusqu’à très récemment en dernier recours, l’anglais. Parfois, la stratégie fonctionnait. D’autres fois, j’étais « acculée » à parler une langue que je pratique pourtant depuis toujours.

Peu à peu, le questionnement sur ma condition linguistique non pas d’un point de vue théorique mais à partir d’une situation empirique m’a amené à entreprendre une danse renouvelée avec l’arabe. A l’intérieur de ce mouvement où je continue à défaire le nœud que constitue le choix du système linguistique, pouvoir exprimer une idée claire me semble être en réalité le seul enjeu véritable.

Car au fond, si le langage est un arc, ses nombreuses formes, des flèches, seul compte la justesse du tir et son but, c’est à dire le sens qu’il cherche à produire. Le grand poète sufi Rumi s’exprime sur ce sujet dans le Livre du dedans en ces termes «  le tréfonds (sirr) de l’être doit être prospère parce qu’il est comme la racine d’un arbre ; bien qu’elle soit cachée, son effet se manifeste à l’extrémité des branches. Si une ou deux branches sont cassées mais que la racine est robuste, elles poussent de nouveau. Mais si la racine est endommagée, il ne reste ni branche ni feuille. »

Si l’on considère la racine comme étant l’origine du sens et la langue comme un moyen visant à le rendre intelligible et beau, il est possible de postuler le dépassement de la question linguistique telle qu’envisagée aujourd’hui, c’est à dire selon le paradigme de la spécificité au profit d’une approche plus globale, visant à réfléchir aux moyens permettant à chaque algérien d’avoir confiance en sa capacité d’expression.

Pour atteindre ce but, il faudrait encourager le secteur éducatif à réfléchir en plus de la déculpabilisation nécessaire vis à vis des langues maternelles à introduire des ateliers d’écriture et de lecture, dédiés à encourager la clarification des idées des étudiants autour par ex. de sujets d’actualité. La seule exigence linguistique pourrait être que les élèves et le professeur se comprennent. Bien évidemment, la responsabilité de l’enseignant serait ici immense mais cette libération de la parole aurait pour effet de créer un nouvel état; celui d’un être capable de s’envisager non pas à la voix passive, comme c’est souvent le cas dans nos écoles, mais en tant que personne responsable face au monde impliqué et exprimé dans le langage.

C’est en filigrane ce que défendait Ibrahim Omar Fanon -dont le prénom de naissance Franz est peut être plus connu-, lorsqu’il tenta d’analyser dans Peaux noirs, masques blancs (1952) le rapport aliéné du colonisé au langage, le lien de soutènement entre la langue et la collectivité. Si tout le raisonnement de Fanon se situe vis à vis de la langue de l’ancien colon, il révèle néanmoins une vérité encore palpable aujourd’hui; pour que le colonisé ou l’ex-colonisé se situe face au langage, il doit dépasser le sentiment d’infériorité qu’on lui a inculqué pour tenter de le dominer et aller à la recherche de son expression propre, voie unique vers le renversement de la situation de parole.

Un autre cheminement complémentaire, peut être exploré. Celui-ci est poétique et se veut être un acteur essentiel du terrain de l’imaginaire labouré dans notre pays, partout et tous les jours. Dépeint dernièrement à Alger avec finesse et profondeur dans “Fi rassi rond point” de Hassen Ferhani, la poésie irrigue notre culture depuis toujours sous différentes formes. Kateb Yacine y a d’ailleurs apporté un souffle essentiel par son engagement au développement d’un théâtre populaire, en trois langues.

Nous voudrions ici défendre l’idée que le rap est une autre forme d’expression essentielle, bien que marginalisée, agissant dans le sens de la libération du langage. Mouvement appartenant à la culture du dominé qui a trouvé sa voix ; le hip hop, le rap a pour spécificité de traiter du réel sans faux semblant et en surfant tout en rythme et en métaphore et grâce à un flow de mots et punchlines sur l’océan de la langue du Présent.

C’est donc une autre voix qui devrait être entendue car souvent puissante dans la forme et le fond. Incarnée par des groupes mythiques comme MBS (Le Micro brise le silence) ou Intik, on la retrouve aujourd’hui chez des rappeurs comme Diaz ou Freekence. Le duo de Boumerdes a sorti en 2012 un album intitulé « Etat d’urgence ». Le morceau Hess Etakalid redonne non seulement la voix à la sagesse des générations qui nous ont précédées mais traite surtout du présent; d’un pays qui a perdu ce qui a fait son âme au profit du business, de l’effacement de la mémoire et de l’oubli de traditions ancestrales. Quant à Diaz, il vient de signer une collaboration brillante avec Donquishoot appelée la Bataille d’Alger dans laquelle les rappeurs appellent à se souvenir du courage de Ali Lapointe pour reprendre la lutte et affronter les difficultés que rencontre aujourd’hui le jeune algérien.

Petite apostrophe, cette tribune cherche surtout à adopter un paradigme différent à l’intérieur de la grande question linguistique en Algérie. Il en faudra encore beaucoup pour arriver à une réponse globale correspondant aux attentes des générations passées, présentes et futures. Dans cette quête, il nous semble que chaque génération doit pouvoir exprimer son sentiment, son expérience personnelle vis-à-vis du langage et de l’expression… c’est ce que nous avons tenté de faire modestement ici. En espérant qu’à partir de ce point, le dialogue soit un peu plus ouvert et que les jeunes notamment se sentent concernés activement par cette problématique essentielle…

Publié dans Analyses | Marqué avec | Laisser un commentaire

La question de l’interventionnisme au Sahel

(Article publié pour la première fois dans El Watan en 2012) 

Depuis la fin de l’année 2011, de nouvelles perturbations politiques viennent secouer cette région. Le Mali est le pays qui en subit les revers les plus importants. En effet, en octobre et décembre 2011, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et le groupe terroriste, Ansareddine, ont fait leur apparition sur la scène malienne. De plus, en mars 2012, le pays a vécu un coup d’Etat militaire qui a entraîné la chute du président Amadou Toumani Touré et la désignation de Dioncounda Traoré comme nouveau chef de l’Etat.

L’incompatibilité des objectifs politiques de chacun de ces acteurs a précipité le déclenchement d’une crise sans précédent dans le pays. Alors que les Touareg du MNLA souhaitent l’indépendance du Nord Mali, les membres d’Ansar eddine, aussi Touareg, veulent maintenir l’intégrité du territoire malien en y imposant la charia. Les militaires sont, pour leur part, affaiblis, et la méfiance que leur témoigne la communauté internationale constitue pour eux un fort handicap.

Aidé par le nouveau Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et Al Qaîda au Maghreb islamique (AQMI), le nord du Mali semble être aujourd’hui sous le contrôle des hommes d’Ansar eddine. Le MNLA, qui a clairement pris ses distances avec les groupes terroristes, est devenu de ce fait un interlocuteur privilégié par les organisations régionales africaines et par l’Occident. Le spectre terroriste au Sahel, mettant directement en danger les intérêts de plusieurs pays, au premier rang desquels la France, pousse la communauté internationale à réfléchir aux moyens adéquats à mettre en œuvre pour éviter une aggravation de la situation dans la région. Ainsi, et à l’ère du R2P (Responsabilité de protéger), la question de l’interventionnisme militaire au Mali est posée. Dès lors, envisager une opération d’une telle envergure exige de prendre en considération plusieurs éléments.

Le nécessaire bilan de l’aventure libyenne

Il semble qu’aujourd’hui l’interventionnisme politique soit consacré. Ainsi, et pour beaucoup, la problématique se résume à étudier et planifier le moment opportun pour intervenir. La réflexion sur le bien-fondé même de cette idée s’en trouve réduite dans les stratégies élaborées par les Etats et les organisations régionales ou internationales. Pourtant, un bilan des différentes interventions menées dans le cadre du droit de protection des populations s’avère nécessaire.

L’exemple libyen récent est en ce sens particulièrement édifiant. En effet, s’il est vrai que l’intervention de l’OTAN a permis la chute du régime d’El Gueddafi, la situation dans ce pays reste très préoccupante. La Libye est aujourd’hui un pays divisé. Le niveau de violence est encore élevé et les revendications sécessionnistes des uns et des autres menacent gravement l’avenir du pays. De plus, les élections du 7 juillet dernier se sont déroulées dans un climat de tension, du fait des menaces de sabotage proférées par les milices fédéralistes de Cyrénaïque, la partie est du pays, hostiles à la prédominance du pouvoir central de Tripoli.
Enfin, les conséquences régionales de l’intervention en Libye sont nombreuses. La chute d’El Guedafi a permis à plusieurs organisations rebelles de se servir, sans limites, dans le dépôt d’armes à ciel ouvert laissé par l’ancien dictateur. Par ailleurs, les combattants africains composant les anciennes milices du guide libyen sont retournés dans leur pays d’origine, provoquant la déstabilisation d’équilibres nationaux déjà fragiles.

La position de la diplomatie algérienne

Si un retour sur les résultats de l’aventure libyenne est nécessaire, il est aussi important de s’intéresser aux pays supposés être des acteurs incontournables pour solutionner la crise malienne. Dans ce cadre, l’Algérie est décrite comme le «leader» régional incontestable.

L’Algérie est effectivement le seul pays de la région disposant d’importants moyens logistiques et militaires. De surcroît, plusieurs otages algériens sont encore entre les mains du MUJAO, basé temporairement au Mali. Enfin, le problème posé par les 30 000 réfugiés maliens installés dans le Sud algérien pourrait constituer une autre raison encourageant l’Algérie à intervenir au Sahel.

Pourtant, plusieurs réserves doivent être émises. La première concerne les orientations mêmes de la diplomatie algérienne qui a toujours vu d’un œil hostile toute interventionnisme étranger, avec en toile de fond la peur constante qu’un tel scénario se produise au sein de ses frontières.

De plus, alors que la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) encourage un partenariat tactique avec le MNLA, l’Algérie considère, pour sa part, que les revendications indépendantistes des Touareg sont menaçantes puisqu’elles risquent d’influencer les 40 000 Touareg vivant en Algérie.

Le point de vue américain

Enfin, une intervention au Mali ne pourrait être envisagée sans le feu vert étasunien. Or, si ce pays se dit profondément préoccupé par la situation au Sahel, il est peu probable qu’il envisage de penser cette zone grise comme un «Afghanistan africain». Ainsi et malgré une activité importante de renseignement, les Etats-Unis relèguent cette région, pour le moment, à une position secondaire sur leur grand échiquier du monde.

Pour justifier l’implication des Etats-Unis, plusieurs analystes ont rappelé le rôle des Américains dans la gestion de la crise somalienne. En effet, l’opération «Restore Hope» de 1993 et le soutien des Etats-Unis aux dernières opérations kenyanes dans l’extrémité orientale de la Corne de l’Afrique présentent pour certains des similitudes avec le cas malien. Pourtant, la Somalie n’a en rien la même dimension géostratégique, puisque ce pays, bordé par le Golfe d’Aden et l’océan Indien, est un point de passage-clé pour les Américains qu’il importe de contrôler. Ainsi, la lutte engagée contre la piraterie par l’OTAN, dans l’océan Indien lui permet de positionner sa marine militaire dans un lieu hautement stratégique pour le présent et le futur. Enfin, il est important de rappeler que les prochaines élections américaines réduisent fortement la marge de manœuvre du président Barack Obama au niveau international.

Ainsi, si la question de l’interventionnisme revient régulièrement dans la presse internationale depuis quelques semaines, et notamment dans la presse française (voir la une de Libération du 12 juillet), il est à noter que plusieurs paramètres doivent être pris en compte pour permettre de repenser en profondeur et sur le long terme la nature et le type d’intervention à engager au Mali et au Sahel.

Publié dans Analyses | Marqué avec | Commentaires fermés sur La question de l’interventionnisme au Sahel